Bidouilles graphiques, plastiques & poétiques de Yves Barré
Le bourri : chapitre 2.
Ou le lecteur découvrira avec ravissement que le bourri, c'est kif kif.
Kaire. Ayoucha assise – daguerréotype de Joseph Philibert Girault de Prangey (édition 1842-44)
Le bourri suivant avait séduit Alexandre Dumas :
« Pendant ce temps, la suite du chérif Hussein fumait le bourri. Tout ce qui n'était pas chérif tirait un même bourri deux ou trois bouffées de fumée.»*
Ça semblait tenir de la pipe. En effet :
« Le bourri est une pipe faite avec une noix de coco. C'est une espèce de hucca où l'on fume le tumbac de Perse.
Toute la société fume à la même pipe, que l'on se passe après chaque troisième ou quatrième bouffée.
On avale la fumée du bourri ; les uns ont l'avarice de la garder dans leur estomac, les autres, après un temps plus ou moins long, la rendent ad libitum par la bouche ou par le nez.»*
Ici, on est encore plus précis :
« Lorsque plusieurs adeptes du kif se trouvent réunis, le Hachaïchi (préparateur de haschich) apporte son bouri. Le bouri consiste en une noix de coco évidée, munie d'un long tuyau en roseau sur un de ses flancs, qui communique avec un plus petit tube, fixé au sommet de la noix ; c'est ce tube qui constitue le fourneau de l'énorme pipe.
La noix est remplie d'eau pour rafraîchir la fumée et le fourneau est bourré de la feuille stupéfiante soigneusement préparée et à laquelle est joint un petit morceau de Mâdjoune (confiture de chanvre).
Lorsque cet instrument pittoresque est chargé, une petite braise est placée méthodiquement, par le Hachaïchi sur le fourneau, et le bouri circule parmi les clients. Le premier des Hachaïcha (fumeurs) présents, avale la fumée et la rejette par les narines avec un air de béate satisfaction; il passe ensuite le bouri à son voisin qui procède de même, et ainsi de suite jusqu'au dernier des fumeurs accroupis sur la natte.
Lorsque le bouri a fait deux ou trois fois le tour du cercle des huit ou dix clients qui peuplent ordinairement les tavernes, le Hachaïchi préparateur, perçoit une somme de vingt à vingt-cinq centimes ; il se contente de peu comme on le voit, et il lui suffit de récolter quelques sous pour vivre... d'illusions, car, lui aussi, use du bouri en adorateur passionné ; il n'a du reste été amené à exercer cette profession de Hachaïchi, qu'en raison de son goût prononcé pour le kif.»
* L'Arabie heureuse, souvenirs de voyages en Afrique et en Asie, par Hadji-Abd-El-Hamid Bey (Du Couret, Louis), publiés par Alexandre Dumas, Paris, 1860
** Recueil des notices et mémoires de la Société archéologique de la province de Constantine, 1863
Sources : gallica.bnf.fr